Poursuis le bonheur. Cours lui après, ne le laisse pas filer. On ne vit pas sans bonheur.

En cette nuit d'hiver, la neige, glaciale, tombait à gros flocons et le vent donnait l'impression de vouloir s'engouffrer dans les maisons, coûte que coûte. A l'exception d'une vieille insomniaque -un livre qui la laissait pantelante dans une main, une tisane dans l'autre- et d'un couple de jeunes mariés, tous les habitants de la rue avaient cédé à l'appel tentateur des lits chauds, cocons agréables et protecteurs, en ce soir morose au climat septentrional. Minuit approchait à pas de géants, et un cri déchirant retentit dans le foyer du couple. L'homme, médicomage, murmura un sort qui apaisa les dernières souffrances de sa femme. Moins d'une minuit plus tard, les braillements d'un nouveau-né retentirent. Trois minuits s'écoulèrent, pendant lesquelles le nourrisson ne cessa ses hurlements, puis d'autres pleurs de bébé se joignirent aux siens. Dehors, les cloches tintèrent, comme pour annoncer la naissance de Soren et Aaron Abercrombie. Couvés par leurs parents, qui les tenaient dans leurs bras, les garçons s'apaisèrent rapidement sous les regards bienveillants emplis d'amour.
Au matin, la neige cessa de tomber, et les toits resplendissaient de couleurs pures, sous la douce lumière des rayons du soleil. Le monde semblait renaître.

Et sans que l'on s'en rende compte, le jour où leurs lettres -tant attendues- pour Poudlard arrivèrent, marqua la fin de leur enfance. Cédant aux maintes supplications des garçons, qui désiraient aller au Chemin de Traverse dès l'après-midi, Karen Abercrombie se remémora les débuts dans la vie de ses fils. Elle les revit, dans leur banlieue londonienne, où ils ils avaient dit leurs premiers mots et fait leurs premiers pas. Dressés sur leurs petites jambes dodues, ils avaient couru dans le jardin, jouant à des jeux qui n'appartenaient qu'à eux. Ils étaient allés à l'école du quartier et s'étaient mêlés aux enfants moldus, ce qui avait forgé leur respect des autres. Aaron était plus calme que son frère. Il parlait moins, était plus en retrait, plus posé. Soren était un joyeux trublion, toujours en mouvement. Leur complicité était manifeste, et bien qu'ils leur arrivent de laisser éclater leurs colères l'un sur l'autre, les jumeaux étaient très unis. Ils étaient complices, Aaron canalisait son frère, alors que Soren le rendait plus vivant. Néanmoins, ces derniers temps, leur complicité s'était ternie ; ils entraient lentement dans le monde des grands, et prenaient des chemins différents.
Quand le bonheur est là, onze années filent à toute allure.

A la vue du vieil homme derrière son comptoir, Aaron resta un instant au pas de la porte avant d'entrer. Il avait demandé à être seul avec Ollivander, lorsque sa baguette le choisirait, et le poids des gallions dans la poche gauche de son pantalon lui donnait une assurance nouvelle. Après quelques formules de politesse, le fabricant de baguette se lança dans la prise de mesures, et Aaron se laissa manipulée telle une vulgaire poupée. S'il semblait serein, il était intérieurement partagé entre l'excitation et l'angoisse. L'acquisition d'une baguette magique symbolisait son entrée dans la sorcellerie, et l'avenir semblait si flou, réservait tant de surprises que ce moment paraissait, à ses yeux, d'une importance capitale. Les trois premières tentatives d'Ollivander ne furent pas concluantes. Enfin, il amena une baguette sombre, et énonça « D'une longueur de vingt-deux virgule deux centimètres, celle-ci renferme un crin de licorne, dans du bois d'if. » Quand sa main se referma, avec une délicatesse empreinte de déférence, il sentit que ses doigts, sa paume, sa main toute entière était adaptée à ce précieux instrument. Un courant d'énergie l'envahit, il ferma les yeux et inspira intensément, alors que des frissons le parcouraient. « C'est celle-là. » lança-t-il dans un souffle. « Effectivement, M. Abercrombie. » Dans la bouche du vieux fabricant, la dénomination paraissait déplacée. « Idéale et puissante pour les enchantements, elle est plutôt souple et maniable. Mais... » Il sembla hésiter un instant, comme s'il allait lui révéler quelque chose d'important, et même de plus important encore que ce qu'il lui avait déjà dit jusqu'à présent. « Prenez en soin, mon garçon. C'est une belle baguette que vous avez là. Belle, mais aussi très triste. La licorne était mourante lorsque le crin lui a été prélevé, et vous n'avez sans doute jamais vu la pureté et la détresse d'une telle créature dans la mort. L'if, quant à lui, symbolise la mort et la renaissance. Mais c'est aussi le symbole de l'éternité et de la vie. N'oubliez pas de regarder la lumière, d'accord ? » Le regard de l'homme était si clair, si mystérieux, qu'Aaron ne put s'en défaire. D'une voix qu'il voulut la plus assurée possible, il acquiesa : « J'y veillerai. »
S'il avait su, à l'époque, à quel point ces propos étaient primordiaux.

Est-ce véritablement l'obscurité qu'on craint ? Les ténèbres sont-ils la raison de notre frayeur, ou est-ce notre peur d'être seul ?

La mixture brune, hideuse, bouillonnante, qui gicla du chaudron d'Aaron irrita une nouvelle fois le professeur. « Dehors, Abercrombie ! Vous n'êtes qu'un danger public ! » Alléluia, fin du cours de potions, fin des cris qui déchirent l'oreille endormie. Aaron remballa ses affaires rapidement et sortit de la salle sous les regards amusés de ses camarades de septième année. Il n'y prêta pas attention, encore fatigué du cours -soporifique- d'histoire de la magie et des effluves âcres de son affreuse potion. Le long supplice de l'après-midi s'achevait enfin, et sa seule envie était d'aller s'étendre sur un canapé de la salle commune.
Allongé, il attendit la venue de Zara. Il ne put s'empêcher d’esquisser un sourire. Zara.
Bientôt six mois que vous étiez ensemble, et ce n'était pas grâce à toi. Si elle n'avait pas fait le premier pas, tu serais toujours seul, à attendre désespérément qu'un miracle vous attire l'un vers l'autre. C'est elle qui s'était occupé d'essayer d'entrevoir qui tu étais derrière ta timidité. Sa gentillesse, sa douceur, sa beauté. Tout en elle te plaisait, tu étais amoureux, plus que tu ne l'avais jamais été. Et tu n'avais rien fait. Mais la jolie blonde avait été patiente. Elle avait fait la conversation pour deux, t'avait proposé des rendez-vous. Jusqu'au jour où tu l'avais -enfin- embrassé. Ces six premières années, tu t'étais fait silencieux, tu n'étais que l'ombre de Soren. Son opposé, même. Zara t'avait aidé à t'ouvrir. Tu sourirais plus souvent, tu rigolais, et il t'arrivait de faire des blagues. Tu t'intégrais, et Poudlard te paraissait encore plus agréable. Ton sourire, si peu fréquent, te rendait mystérieux, mais aussi plus sociable. Tu aimais ces moments à ses côtés, elle te rendait meilleur, et tu étais fier d'être avec elle. Tu te sentais chanceux, si chanceux, quand elle te regardait avec ses beaux yeux gris, plein d'amour, et que son sourire radieux montrait qu'elle t'aimait. La sincérité de vos baisers, ses moments purs que vous partagiez, te faisaient te demander si la vie, ce n'était pas cela. Tu étais comblé.
Il sentit des lèvres se poser, tendrement, sur les siennes, et quand il ouvrit les yeux, il sut que le bonheur était bien dans ces moments.
Oh, Aaron, savais-tu combien les instants que vous viviez étaient chers, et combien elle te manquerait ?

Les vacances se terminaient sous le soleil, ce même soleil qui s'était pointé à l'aube, le lendemain de sa mort. Aaron en était même venu à le haïr, comme il en voulait à la Terre entière. Route humide, accident de voiture, morte sur le coup. Pas besoin d'en entendre plus, Zara était partie. La douleur était immense, incommensurable. Le trop-plein d'émotions qui l'avait envahi ne se tarissait pas, à l'instar de ses larmes. Plongé dans son mutisme, il resta sur son lit, alors que ses camarades montaient à bord du Poudlard Express. Plus rien n'avait de goût, et même la solitude ne lui apportait plus de réconfort. Deux semaines s'écoulèrent, lentement, comme si le temps prenait un plaisir sordide à s'étirer. Il commença alors à prendre conscience du sort qu'on lui réservait. Tous les bruits lui susurraient son internement futur à Ste-Mangouste, l'avertissant de ce choix de ses parents, qu'ils admettaient comme étant le plus raisonnable. Mais il ne voulait pas y aller. Il ne pouvait pas. C'était comme signer son arrêt de mort. Après cela, il passerait le restant de sa vie avec l'étiquette dérangé placardée sur le front. Alors, il sortit de cette pièce sombre, désordonnée, qui émanait la détresse humaine. Petit à petit, ce qui n'étaient que de simples efforts pour feindre celui qui reprenait goût à la vie se transforma en un jeu. Si tu leur souris, tu gagnes un point. Si tu commences une conversation, tu en gagnes trois. D'abord septiques, ses parents finirent par gober sa comédie, leur envie de le voir sortir de ce trou noir obstruant leur vue des faits réels.

Un arrêt chez les Williamson avant mon retour à Poudlard. Cela avait été sa seule requête. Seul, il s'avança dans la maison vide, qui serait débarrassée puis vendue, personne n'ayant la force d'y vivre. Il grimpa les marche, l'anxiété ralentissant ses mouvements. A l'étage, au bout du couloir, sur la porte entrouverte de sa chambre, quatre lettres chatoyaient distinctement, d'une lueur magique dorée. ZARA. Ses pas lents se muèrent en une foulée, et il s'arrêta devant la sombre porte d'ébène aux veinures noires. Sa main se leva, comme dictée par la conscience d'un autre et il effleura les caractères qui diffusaient une douce chaleur. Sa poitrine, immobile depuis quelques secondes, se souleva d'un coup, l'air traversant avec difficulté sa gorge nouée, avant d'emplir ses poumons. Contre sa volonté, une plainte rauque et empreinte de douleur s'éleva, menaçant de laisser dégringoler les larmes qui emplissaient ses yeux. Du bout des doigts, il sentit un creux, au dessus du premier A du prénom de sa bien-aimée. Alors, il discerna, d'un coup, son prénom qui s'étirait verticalement, faisant s'entremêler les deux mots. Les lettres étaient obscures, d'un gris anthracite qui tirait vers le marron foncé. La force de leur amour ne se résumait-elle pas à cela, deux âmes unies ? Sa vision se brouilla, tandis que les gouttes d'eau salée échappaient à l'emprise de ses paupières inférieures. Il entra dans la chambre, harmonieusement décorée dans un camaïeu de violet, et la violence du manque lui fit l'effet d'un coup de poing dans le ventre. Étendu sur le lit, où l'odeur de Zara n'était plus que très peu imprégnée, il pleura son amour perdue, il pleura longuement ce qu'ils avaient envisagé et qu'ils ne réaliseraient jamais. A défaut d'avoir pu la laisser partir en paix à son enterrement, il lui fit ses adieux dans sa chambre, entre deux sanglots. Ses rêves, sa joie, tout n'était plus qu'un vaste tas de cendres qui s'embrasaient, les tentacules brûlantes lui léchant le cœur, pourtant déjà si déchiré. Et quand ses larmes s'apaisèrent, son deuil débuta.

Au bout de l'interminable chemin, devant le portail du château, se dressait Soren. L'attente sembla anormalement longue, et quand ils furent enfin l'un en face de l'autre, Aaron se laissa tomber dans les bras de son jumeau, qui le serra, l'emprisonna, conservant la pression fraternelle pendant qu'Aaron laissait libre court à ses larmes. La complicité qu'ils avaient jadis connue se trouva ravivée à la suite de cette épreuve. Quand la plaie était trop profonde, trop douloureuse, l'influent Soren dénichait de quoi faire oublier Aaron. Les mois s'écoulèrent, et progressivement, Soren soigna le malheur de son frère. Aaron redoubla sa septième année, mais l'éloignement du monde magique des jumeaux, qui étaient partis pendant les vacances d'été, lui fit du bien. Lentement, la vie reprenait son cours, la douceur revenait, et le doux refrain de la quiétude reprit sa mélodie...

méfaits accomplis,

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