Gellert & Mara

Le silence était retombé sur la serre de botanique. Après les reproches, les cris, les pleurs même, plus rien ne subsistait que cet épais silence, aussi épais que la couche de neige qui s’était accumulée au-dessus de sa tête depuis le début de la soirée. Mara était seule à nouveau, debout devant son bureau, le regard perdu dans le vague, les yeux encore rouges et gonflés. Malgré le temps qui semblait toujours aussi désastreux à l’extérieur, il faisait une chaleur étouffante dans cette serre, entretenue soigneusement par la jeune sorcière. Elle avait toujours adoré cette atmosphère chaleureuse, qui l’accueillait à n’importe quelle période de l’année, même quand la neige recouvrait tout comme aujourd’hui … Mais la dispute violente qu’elle venait d’avoir avec Lowry lui serrait encore le ventre, et elle se sentait définitivement mal dans cette serre confinée, moite et beaucoup trop luxuriant pour coller à son état d’esprit. Pourtant, elle se leva de son bureau, essuya ses yeux d’un revers de la main et se força à exécuter les soins quotidiens pour ses plantes chéries, histoire de s’occuper les mains. Attrapant une paire de gants, puis ses ciseaux, elle tenta de se plonger dans la taille d’un cactus siffleur qu’elle venait tout juste d’accueillir pour les élèves de première année, et pour lequel elle avait développé une affection particulière. Mais au bout de quelques minutes, elle se rendit compte que le peu qu’elle avait fait était une catastrophe : elle avait encore la tête dans la discussion qu’elle venait d’avoir, et cela se ressentait dans son travail. Ses mains tremblaient lamentablement comme si elle venait de faire une cure d’excitants, et elle ne ressentait aucun plaisir à faire ce qui l’enchantait habituellement. Elle avait beau adorer ses plantes, leur vue ne suffirait pas à lui remonter le moral. Depuis deux ans, elle avait utilisé sa passion pour la botanique pour détourner ses pensées des souvenirs douloureux qui la hantaient, mais elle venait tout juste d’avoir un retour dans le passé brutal avec Lowry, où ils avaient fait remonter à la surface tout ce qu’ils ne s’étaient jamais dit depuis la mort de sa sœur, et les plantes ne pourraient rien pour elle ce soir. Pour une fois, elle n’avait pas envie de se plonger dans le travail pour oublier. Elle ne voulait pas oublier, elle ne pourrait de toute façon en aucun cas y parvenir. Elle avait besoin de parler à quelqu’un, de se décharger émotionnellement sans que cela ne soit un crève-cœur comme avec Lowry, ou simplement de discuter d’autre chose, mais elle avait besoin d’un contact humain qui la fasse se sentir vivante, et non pas juste comme un robot tailleur de cactus. Elle ôta donc ses gants, enfila son manteau, et quitta la serre pour se diriger vers la silhouette sombre du château. La nuit était tombée depuis longtemps sur le parc, mais elle connaissait ce chemin par cœur, et la lune qui se reflétait sur la neige éclairait ses pas comme en plein jour. La scène était magnifique, sans doute, mais elle ne fit que serrer davantage le cœur de la jeune femme, et elle pressa le pas. Elle ne supportait pas cette neige.

Elle savait très bien à qui elle voulait parler, la seule personne en fait à qui elle avait envie de parler ce soir, mais elle fit un détour par les cuisines avant de monter dans les étages du château pour le rejoindre. Mais une fois devant la porte du professeur d’alchimie, elle sembla se souvenir de l’heure tardive, et elle hésita avant de frapper. Il était tard, et elle ne voulait pas le déranger. Elle s’était dirigée droit vers ses appartements sans y réfléchir un seul instant, comme si c’était naturel, mais à présent qu’elle était devant chez lui … Elle regarda derrière elle, dans le couloir, tergiversa un instant sur la possibilité de faire demi-tour, mais la seule idée de regagner sa propre chambre et de s’y retrouver seule avec ses pensées lui fit l’effet d’une douche froide, et la persuada de frapper. Elle avait désespérément envie de le voir, Gellert avait toujours été un confident parfait, lui répétant qu’elle pouvait venir le voir n’importe quand si elle en ressentait le besoin. Alors voilà, elle en avait besoin ce soir. Il était tard, mais pas assez pour qu’il soit couché … Du moins, elle l’espéra. Quand il vint ouvrir, elle se faufila à travers la porte, un sourire contrit sur le visage. « Hey, salut, désolée de venir aussi tard … Je ne te dérange pas ? » Elle jeta un coup d’œil autour d’elle, mais il semblait plus avoir été tiré de son travail que de son sommeil, ce qui la rassura un peu. D’un coup de sa baguette, elle fit apparaître deux tasses fumantes qu’elle était allée chercher aux cuisines, et en tendit une à Gellert. « J’ai amené du chocolat chaud pour me faire pardonner. Ca ne t'embête pas si je reste un moment ? » Même si elle ne faisait que le regarder travailler en silence, ce serait mieux que de retourner seule chez elle. Elle ne voulait pas d’une soirée seule, pas ce soir.

De nombreux élèves avaient déjà quitté la Grande Salle pour rejoindre leurs dortoirs respectifs, mais Gellert y était toujours présent pour les bonnes raisons suivantes : il venait de prendre une troisième petite assiette de ces délicieuses carottes sautées et il participait à une conversation fort endiablée avec deux de ses collègues sur le match de Quidditch qui aurait bientôt lieu et où s’affronteraient les Serpentards et les Serdaigles. Les professeurs tentaient d’être de fins analyseurs de joueurs et de prédire avec exactitude le déroulement et le score final de la partie. ( « Untel marque habituellement cinq buts ! » « Oui, mais n’a-t-il pas été blessé récemment ? Disons qu’il en ferait quatre. » « Et n’oublions pas le batteur de Serdaigle qui lui voue une haine et qui fait toujours tout son possible pour lui nuire - ce qui marche plutôt bientôt d’habitude. Entendons-nous pour trois buts. » ...et la discussion continuait ainsi. ) Lorsque les trois collègues se levèrent enfin de table et chassèrent les derniers jeunes de la salle, ils ne s’étaient pas encore décidés sur le gagnant. Puis, l’un d’eux bâilla, déclara qu’il allait se retirer puisqu’il avait une lettre importante à écrire à sa maman, l’autre déclara qu’ils pouvaient au moins convenir d’une chose : ce serait un match palpitant et très serré. Tous contents d’avoir finalement trouvé un consensus, ils se séparèrent à l’amiable et Gellert récupéra ses appartements poudlardiens. Dès lors qu’il poussa sa porte, un vent d’apaisement le saisit. Même s’il n’y habitait que depuis deux ans, il en éprouvait beaucoup d’attachement et s’y sentait parfaitement à sa place. Le professeur d’alchimie avait décoré en toute simplicité les pièces ; il avait accroché de nombreux tableaux (la plupart représentaient des paysages sereins), et le nombre d’oeuvres moldues et sorcières était équilibré ; à côté de son bureau trônait une grande affiche de Dzou Yen, alchimiste chinois qu’il vénérait (et mieux valait ne pas poster sur son identité si vous ne vouliez pas entendre un exposé de vingt minutes minimum sur sa vie et ses découvertes) ; il avait ajouté quelques meubles à ceux qui étaient là au départ, mais rien d’encombrant - le tout restait très grand, espacé, paisible ; une grande bibliothèque (presque obligée lorsque vous étiez un professeur); et des tapis sur presque tout le plancher (il aimait les tapis, ils étaient agréables sous les pieds). Tout était sobre mais accueillant. Et très en désordre, devrais-je spécifier, mais ce n’était qu’un détail peut important aux yeux de l’Allemand.

Gellert s’installa à son bureau dans l’intention d’avancer sa préparation pour son cours du surlendemain (comme ça, il serait libre demain pour paresser en toute tranquillité). Il essayait de simplifier les travaux d’un alchimiste belge de la Renaissance, car, chaque année, ses élèves prenaient des jours à comprendre ses raisonnements. Il ne pouvait les blâmer; il reconnaissait que ce n’était pas à un concept évident à assimiler, qui était nouveau et qui n’avait aucune ressemblance avec quelconque théorie. Il semblait que, pour comprendre, il fallait tout simplement être patient et attendre le déclic. Mais lui-même ne paraissait pas avoir le déclic ce soir pour trouver les bons mots qui éclaireraient leurs lanternes. C’était peut-être la faute au trop grand nombre de carottes qu’il avait avalées et qui jouait des tours à ses neurones... ? Ou simplement une concentration inexistante. Lorsqu’on cogna à sa porte, il accueillit cette distraction avec soulagement ... et surprise. Qui donc venait chez les gens à une heure aussi tardive - à part pour les assassiner ? « Mara ! » s’exclama-t-il en découvrant, sur son palier, l’intruse qui se glissa à l’intérieur. « Hey, salut, désolée de venir aussi tard … Je ne te dérange pas ? » demanda-t-elle d’une petite voix. La professeure de botanique était différente : elle semblait exténuée émotionnellement et ses yeux criaient de tristesse. Que lui était-il donc arrivé pour qu’elle eût si mauvaise mine et qu’elle se précipitât ici si tard ? « Non, non, pas du tout ! À vrai dire, tu tombes plutôt bien, je ne trouvais pas la motivation nécessaire pour finir mon travail... et tu sais que tu ne me déranges jamais » ajouta-t-il en lui souriant sincèrement. Il avait tout de suite apprécié Mara lors de son arrivée à Poudlard deux ans auparavant, et les mois qui suivirent ne firent que renforcer le tout, liant les deux enseignants d’une forte amitié, entre autres basée sur toutes les confidences qu’ils se faisaient quotidiennement. Il lui portait beaucoup d’affection et la voir dans cet état le préoccupait et l’attristait. « Hmm, ne fais juste pas attention au désordre. Pardon. Mais il vaut mieux ne pas risquer un sortilège de rangement ici. » Tout en s’éloignant de la porte, il poussa du pied une paire de chaussures qui traînait. « J’ai amené du chocolat chaud pour me faire pardonner. Ça ne t'embête pas si je reste un moment ? » Il secoua la tête : « Ceci est une très bonne façon de t’incruster sans gêne. » C’était une blague évidemment, il l’aurait acceptée, peu importe ... il espérait seulement qu’elle le savait. Peut-être qu’elle ne trouverait pas cela très drôle, compte tenu de son état mi-dépressif ? Alors il ajouta, plus gentiment et doucement : « Tu peux rester aussi longtemps que tu le veux, Mara. » Il l’invita ensuite à s’asseoir où bon lui semblerait, lui-même prit place sur son fauteuil violet préféré. Puis, il s’enquit : « Alors, que me vaut cette surprise nocturne ? À moins que tu ne gardes la jasette pour plus tard ? » Très rares étaient les fois où elle s’était présentée à lui aussi peinée et il était prêt à faire tout - ou presque - ce que son amie voulait, tant qu’elle esquissait un sourire à la fin. « Ou une partie de bataille explosive ? » proposa-t-il. « C'est plutôt distrayant, tu sais. Mais peut-être un peu trop enfantin pour la mature Mara ? Boire du chocolat chaud silencieusement est tout aussi agréable. » Comme il ne savait toujours pas sonder les esprits des autres, il arrêta de lancer des suggestions pour laisser Mara s’exprimer.

Cela faisait deux ans que Mara connaissait Gellert, depuis qu’il était entré à Poudlard comme professeur en fait. Ils s’étaient tout de suite très bien entendus, aussi bien sur un plan strictement professionnel que personnel. Il n’était finalement pas étonnant que ce soit à lui que Mara avait immédiatement pensé après que Lowry ait quitté sa serre, car c’était avec lui qu’elle passait ses meilleurs moments à Poudlard. Ils n’avaient jamais eu aucun problème de communication, aucune mésentente qui les éloigne, bien au contraire. Mara était déjà venue le déranger de nombreuses fois par le passé, que ce soit pour partager un fait qui l’avait contrariée, pour bavarder d’une méthode de cours, pour confier ce qu’elle avait sur le cœur, ou même pour aborder les tragiques évènements qui avaient secoués récemment le Chemin de Traverse, ils pouvaient aborder n’importe quel sujet, elle se sentait toujours aussi à l’aise avec lui. Il était un des seuls professeurs avec qui elle avait déjà parlé de sa sœur, et dans un style beaucoup moins désagréable qu’avec Lowry. Gellert se révélait être un confident idéal, un ami précieux. Mais elle n’était jamais venue frapper chez lui aussi tard, et elle n’avait jamais hésité avant de le déranger … En fait, elle n’avait jamais vraiment été gênée de débarquer chez lui n’importe quand. Mais il l’avait toujours encouragée à le faire, avec ses sourires à chaque fois qu’il lui ouvrait la porte ! S’il avait voulu qu’elle cesse, sans doute aurait-il déjà pu le lui faire savoir par des signes plus ou moins discrets … Ce soir, le sourire ne manqua pas à l’appel, et elle en fut sincèrement soulagée, même si cela ne suffit pas, pour cette fois, à réchauffer le froid qu’elle ressentait dans le creux du ventre.

« Non, non, pas du tout ! À vrai dire, tu tombes plutôt bien, je ne trouvais pas la motivation nécessaire pour finir mon travail... et tu sais que tu ne me déranges jamais » C’était précisément ce qu’elle souhaitait entendre, mais elle ne se souvenait pas d’une seule fois où il avait avoué qu’elle le dérangeait, il semblait toujours ravi de la voir … Et même si elle ne devait pas très bien le montrer, elle était également enchantée de le voir. Mais elle ne parvint pas à créer un sourire qui fasse illusion, et laissa tomber rapidement. « Hmm, ne fais juste pas attention au désordre. Pardon. Mais il vaut mieux ne pas risquer un sortilège de rangement ici. » Cette fois, son sourire fut un peu plus convaincant, amusée un instant par sa réflexion. Elle jeta un coup d’œil autour d’elle, notant le désordre en le suivant à l’intérieur, mais pas rebutée une seule seconde par tout ce joyeux bazar. Cela rendait la pièce infiniment plus vivante que si elle avait été rangée de façon militaire, et c’était de vie qu’elle avait besoin, pas de discipline. Mais elle se rendit compte alors qu’elle laissait le silence s’installer, déjà, et qu’il était convenable de répondre à une telle phrase. Il lui fallut pourtant se creuser la tête pour trouver quelque chose à dire, comme si ses facultés de conversations étaient ralenties. « Oh, ne t’en fais pas, ma chambre est bien pire que la tienne … C’est pour ça que je viens te voir, je préfère que tu ne voies pas mon propre désordre. » Ce n’était qu’une moitié de mensonge, sa chambre était bel et bien dans un désordre fabuleux, mais ce n’était pas pour ça qu’elle préférait aller chez lui plutôt que l’inviter chez elle. A vrai dire, elle n’avait pas invité grand monde dans ses appartements, trouvant cela bien trop formel, trop personnel même. Elle en ressentit à nouveau un léger malaise, comme si elle regrettait soudain d’avoir prononcé ces mots, ou même de ne l’avoir jamais invité chez elle. Malaise qui fut renforcé quand il prit sa tasse de chocolat. « Ceci est une très bonne façon de t’incruster sans gêne. » Elle le regarda d’un air un peu effaré, hésitant à prendre ça comme une blague ou comme une remarque directe sur sa façon de s’incruster, mais elle n’eut pas le temps de s’excuser ou de répondre quoi que ce soit, qu’il reprenait. « Tu peux rester aussi longtemps que tu le veux, Mara. » La jeune femme le regarda d’un air reconnaissant, se sentant extrêmement stupide, soudain, d’avoir cru qu’il pouvait dire ça en le pensant. Cela faisait deux ans qu’ils se connaissaient, deux ans qu’ils étaient de très bons amis, et elle en venait même à douter de ça à présent, uniquement à cause d’une dispute qui l’avait ébranlée bien trop profondément … Elle s’assit dans un fauteuil en face de celui de Gellert. « Merci. » Elle sentait bien qu’elle devait en dire plus, qu’elle ne pouvait pas rester sur ce simple mot alors qu’elle aurait voulu le remercier avec tellement plus de chaleur de lui avoir ouvert sa porte et permis qu’elle ne reste pas seule ce soir … Mais ses lèvres restèrent closes, et elle détourna le regard. Gellert ne sembla pas s’en offusquer, et continua sur sa lancée, ce qu’elle trouva admirable de sa part, au vu de la façon dont elle-même se comportait. « Alors, que me vaut cette surprise nocturne ? À moins que tu ne gardes la jasette pour plus tard ? » Pendant un instant, elle envisagea d’attraper cette perche, mais elle lui devait tout de même un minimum d’explications. Elle n’avait plus franchement envie de parler de sa dispute avec Lowry ni même de la façon dont cela l’avait affectée, mais par respect pour Gellert, elle ne pouvait pas rester muette en espérant qu’il l’accepte. Mais à nouveau, elle n’eut pas le temps de dire quoi que ce soit, à moins qu’elle ne soit décidemment trop lente à formuler ses réponses … « Ou une partie de bataille explosive ? C'est plutôt distrayant, tu sais. Mais peut-être un peu trop enfantin pour la mature Mara ? Boire du chocolat chaud silencieusement est tout aussi agréable. » Elle secoua la tête, un sourire un peu désolé sur le visage. « On peut faire une partie de bataille si tu veux. Contrairement à la rumeur, je sais y jouer. » Ajouta-t-elle sur un ton qui se voulait aussi enjoué que possible. Pas qu’elle affectionne cela particulièrement, la rumeur n’avait pas tout à fait tord, mais jouer à la bataille était une excuse pour ne pas avoir à parler … Elle attrapa un paquet de cartes sur une étagère de Gellert, et commença à les battre consciencieusement. « J’ai eu une mauvaise soirée … J’avais juste besoin de discuter avec quelqu’un. Discuter ou voir quelqu’un, ne pas rester toute seule chez moi quoi. » Commença-t-elle à expliquer, les yeux baissés sur les cartes qu’elle mélangeait toujours. Elle commença à les distribuer, toujours aussi sérieusement que si le jeu pouvait avoir un enjeu sur son avenir. « Dumbledore m’a demandé de faire un cours commun avec Lowry Burrows. Le mari de ma sœur. Et ce soir, on a eu notre premier … Enfin, ça faisait deux ans que je ne lui avais pas reparlé. » Elle abattit les dernières cartes qu’elle distribuait avec plus de force qu’elle ne l’avait souhaité, provoquant des protestations de la part des petits personnages dessinés dessus, et stoppant par la même occasion le flot de la confession. Elle n’avait pas eu l’intention de parler de ça, ni même de commencer comme ça, et ne savait plus trop comment continuer. « Oh ça va, désolée. » Râla-t-elle à l’intention des cartes. « Je sais jouer, mais je ne te promets pas que je sois très douée. » Ajouta-t-elle pour Gellert cette fois, avant de baisser à nouveau les yeux.

Gellert haussa légèrement les sourcils lorsque Mara affirma que son lieu d’habitation était plus en désordre que le sien. C’était possible, vraiment, de le surpasser dans ce domaine? Lors de ses premières semaines à Poudlard, il avait casé sa collègue dans la catégorie des gens qui étaient toujours à leur affaire, qui n’avaient que rarement tort et qui semblaient maîtres de leurs émotions. Il fallait dire qu’elle était plutôt imposante, voire impressionnante, lorsqu’on la rencontrait pour la première fois. Elle ne le faisait pas exprès bien sûr, elle était très belle de naissance tout simplement et ces choses-là ne pardonnaient pas. La première impression passée, les préjugés étaient tombés, et elle s’était révélée comme étant une personne pas si en contrôle, ayant des doutes et des angoisses, mais dotée d’une personnalité tout à fait charmante. Cependant, il n’était jamais arrivé à se séparer totalement de l’image qui se faisait d’elle - une femme plutôt organisée - et c’était avec surprise et amusement qu’il apprenait des petits détails croustillants comme celui-ci. « C’est scientifiquement impossible, je ne peux pas te croire » répondit-il, rieur. S’il n’avait pas été au courant de ses tendances au désordre, il connaissait au contraire très bien ses habitudes bavardes pour constater que sa collègue botaniste n’était décidément pas au meilleur de sa forme. Ce n’était pas qu’elle détenait le titre de l’enseignante-pie, mais plutôt qu’elle papotait allègrement en sa compagnie, en temps normal. Ce quasi-mutisme ne lui posait aucun problème ; il avait compris dès le moment où elle s’était faufilée discrètement à l’intérieur, le regard triste, que les moments qu’ils s’apprêtaient à passer ensemble seraient fort différents de ceux tranquilles, agréables et ponctués de rires dont ils avaient l’habitude. Il avait accepté ce fait dès les premières secondes, lorsqu’il lui avait assuré qu’elle ne le dérangeait en aucuns cas ; il avait accepté ce rôle de confident dès ses premières semaines à Poudlard en fait et il aurait été un bien piètre ami de se désister lorsqu’on avait le plus besoin de lui. Un certain malaise sembla gagner Mara lorsqu’elle réalisa le faible nombre de mots qu’avaient produit ses cordes vocales. Mais mais.. ! Ce n’était pas le temps de s’ajouter de nouveaux maux, inutile de se tracasser davantage. Il ne savait pas comment la rassurer sur ce point, alors il s’empara du rôle du maître de la parole, et bavarda gaiement.

« On peut faire une partie de bataille si tu veux. Contrairement à la rumeur, je sais y jouer » dit Mara lorsqu’il eut fini. La professeure ne paraissait pas totalement convaincue que le jeu était aussi amusant qu’il le prétendait, mais avant qu’il n’ait pu lui proposer autre chose, elle s’était emparée du paquet, chassant en même temps quelques de ses doutes. Il avait oublié qu’elle n’appréciait pas tout à fait ce jeu (d’où le fait qu’elle n’y participait ... et ainsi naquit la rumeur). Mais enfin, rien n’était définitif et ils pourraient changer de loisir plus tard. Pour sa part, il aimait bien le jeu sorcier - surtout parce qu’il était plutôt doué. Lors de sa tendre adolescence, il avait eu pour habitude de faire des tournois de Bataille Explosive avec ses copains de dortoir et il n’avait jamais complètement perdu la main. « J’ai eu une mauvaise soirée … J’avais juste besoin de discuter avec quelqu’un. Discuter ou voir quelqu’un, ne pas rester toute seule chez moi quoi » lui expliqua-t-elle sommairement, confirmant ses doutes. Il hocha doucement la tête, compréhensif,mais garda le silence. « Dumbledore m’a demandé de faire un cours commun avec Lowry Burrows. Le mari de ma sœur. Et ce soir, on a eu notre premier … Enfin, ça faisait deux ans que je ne lui avais pas reparlé » lâcha-t-elle. Gellert connaissait la nature des liens qui avaient autrefois uni son amie et ce Lowry Burrows. Elle en parlait rarement, mais toujours avec un fond d'amertume. Le professeur d'alchimie ne s'était jamais positionné sur l'affaire - d'ailleurs, il n'avait aucun droit de le faire. Il lui était évident que Mara était aveuglée par sa colère et sa tristesse pour y voir un tantinet clair et songer à pardonner son erreur d'adolescence à l'ancien mari de sa soeur Sélène. Néanmoins, il ne lui avait jamais fait de part de ses observations ; il s'était contenté de poser quelques questions sur la tragédie, mais n'avait rien dit comme « Oh oui, quel vilain garnement » ou « Peut-être devrais-tu passer par-dessus ? » . Non, il ne voulait pas s'ingérer là-dedans, seulement écouter et réconforter. « Compte tenu dans l'état dans lequel tu trouves, j'imagine que ça ne s'est pas très bien passé ? Violente dispute ? » s'enquit-il calmement. Ses cartes sensibles se mirent alors à se plaindre de la main brutale de Mara et il étouffa un petit rire. C’étaient des capricieuses : elles étaient âgées et chignaient sur tout. Il prit son paquet de cartes, en leur demandant d'être agréable ce soir. « Pour la visite, d'accord ? » Mais elles étaient têtues et feraient comme bon leur semblerait sans doute. « Je sais jouer, mais je ne te promets pas que je sois très douée » lui avoua sa collègue préférée. Il haussa les épaules. « Oh, si ça veut dire que je vais gagner, il n’y a pas de problème ! » lança-t-il à la blague. Il s’avéra qu’elle n’avait pas menti,puisque le jeune Allemand remporta la première manche aisément et très très rapidement. Hum. Il s’arrangea donc pour la laisser subtilement gagner la deuxième. « Tu ne voulais pas demander au professeur Dumbledore ne pas travailler avec Burrows, au fait ? Cela vous aurait épargné quelques troubles, il me semble...» dit-il en sirotant sa tasse de chocolat chaud.